Pelléas et Mélisande, ou l'âme au bord des lèvres...

Publié le par Zoé

L'opéra de Debussy s'est donné hier soir au Théâtre des Champs Elysées, dans une version de concert.

Si certains irréductibles doutaient encore du génie du compositeur et se moquaient d'un opéra où, soi-disant, il ne se passe rien, où la musique est fade et plate, bref où l'on s'ennuie, l'interprétation d'hier leur a montré qu'ils se trompaient du tout au tout et passaient à côté d'un chef d'oeuvre d'émotion et de vérité.

 

Quel heureux choix que la version de concert pour un opéra aussi intimiste ! Les chanteurs au bord de la scène, souvent pianissimo ou a capella, laissent transparaître les moindres ondulations de l'âme humaine. N'était-ce une seule et même histoire, cela serait presque de la mélodie...

 L' immobilité des interprètes rajoute encore à la solennité de la tragédie.

Enfin, quoi de mieux qu'une version sans décors pour concentrer toute l'attention sur l'action psychologique, la seule qui existe, tous les éléments extérieurs mentionnés, mer, fontaine, forêt, tour, n'étant que des symboles pour décrire ce qui a lieu, en surface et en profondeur, dans l'âme des personnages?

 

Si nous nous sentons aussi proches de ces êtres mystérieux, énigmatiques, la fameuse « déclamation » debussyste n'y est pas pour rien. Une syllabe par note, un rythme qui suit parfaitement la prosodie française, un ambitus mélodique restreint ; nous approchons du parlé, mais d'un parlé magnifié par le chant. Et lorsque les chanteurs, dans les moments dramatiques, se permettent de quitter pour quelques secondes le chant lyrique et énoncent d'une voix plus rauque, car brisée par l'émotion, leur peur ou leur amour, cela n'en est que plus touchant. 

 Un drame chanté plus qu'un opéra, qui repose avant tout sur une interprétation fine des personnages.

 

Et justement, Laurent Naouri est un admirable Golaud, je dirais même, LE seul Golaud qui puisse exister. Son interprétation est étonnante de justesse et de vérité. Nous comprenons tout, nous ressentons tout : son caractère protecteur et paternel lorsqu'il rencontre Mélisande, la rage du mari dévoré par la jalousie, les suppliques adressées au chevet du lit de mort de Mélisande… Et cela avec une voix de baryton-basse de toute beauté.

 

Simon Keenlyside et Natalie Dessay ont été plus inégaux. Simon Keenlyside clouait parfois un peu brutalement ses fins de phrase au sol au lieu de les laisser s'envoler. Il faut reconnaître que chanter avec un bras dans le plâtre doit gêner un peu son homme ! Et chanter qui plus est le français de Debussy, lorsque l'on est anglais, il y a de quoi être quelquefois embarrassé. Mais en somme, Simon s'en est très honorablement sorti, avec un côté à la fois fougueux et gauche, tout à fait digne d'un jeune Pelléas !

Quant à Natalie, elle a toujours sa belle voix, quoi qu'en disent les mauvaises langues! Une voix que l'on reconnaît tout de suite, cristalline et ronde à la fois, qui se prête bien à l'énigme vivante qu'est Mélisande. Pourquoi inégale ? Eh, bien, elle surjoue parfois, tout simplement, se permet un peu d'air dans la voix, parce-que c'est Debussy. C'est un tout petit peu dommage, car justement chez Debussy, il faudrait rester sobre... Une Mélisande un peu gauche donc, elle aussi, mais la voix est toujours là, en témoigne son air d'oiseau a capella « Mes longs cheveux descendent le long de la tour... ».

 

Les seconds rôles ont été parfaitement interprétés : Alain Vernhes (Arkel) a une voix de basse magnifique, Marie-Nicole Lemieux (Geneviève) fut parfaite elle aussi, Nahuel di Pierro (le berger et le médecin) a parfaitement rempli ses petits rôles, et Khatouna Gadelia (Yniold) s'est montré un adorable petit garçon.

 

La partition impressionniste de Debussy a été interprétée superbement par l'Orchestre de Paris dirigé par Louis Langrée, chef fort attentif et fort sympathique. Impressionnant dés les premiers accords, l'orchestre nous a transporté dans une contrée merveilleuse, menaçante et enchanteresse, d'une mélancolie lancinante.

 

En somme, c'était magnifique.

Oui ! Pelléas et Mélisande est bien un chef d'oeuvre de l'opéra.

Publié dans Au spectacle !

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